Par Dr Cyrille Bienvenu Bela, chef de la section arts plastiques et histoire de l’art à l’Université de Yaoundé 1
Yaoundé, 12 janvier 2012
Nous avons reçu comme un honneur la charge que nous a confiée notre hiérarchie universitaire, les professeurs Richard Laurent OMGBA (Doyen de la Faculté des Arts, Lettres et Sciences Humaines de l’Université de Yaoundé I) et Nazarius BOLE BUTAKE (Chef de Département des Arts et Archéologie), de prononcer l’hommage académique au Professeur Jean-Paul NOTUE. Cette charge incombe habituellement aux professeurs de rang magistral, à des sommités qui ont fait leurs preuves dans le monde académique. Vous comprendrez donc que nous qui ne sommes qu’un maillon, petit, dans cette chaine constituée de sommités chevronnées et outillées, puissions éprouver des sentiments mitigés. Rendre honneur à celui qui fut notre maitre et collègue est certes, une tâche exaltante, mais aussi douloureuse et surtout difficile dans cette auguste assemblée. Qu’à cela ne tienne, nous ferons du mieux que nous pourrons.
Excellences mesdames et messieurs, chers collègues, chers étudiants une fois encore la mort a frappé, lâchement, brutalement, implacablement, nous arrachant un être, des plus chers, le Professeur Jean-Paul NOTUE.
Le professeur Jean-Paul NOTUE qui nous laisse aujourd’hui, était une personnalité pluridimensionnelle en dépit de sa discrète apparence. Son nom était attaché aux enseignements d’histoire et d’anthropologie des arts de l’Afrique. Pionnier dans ce champ disciplinaire qui a vu le jour avec la réforme universitaire de 1993, le professeur NOTUE, en bon prophète, a su se démarquer très tôt, précisément au début des années 80, en s’engageant dans cette voie jusqu’ alors méconnue, incertaine pour d’autres, mais assurément porteuse des fruits.
Le nom du professeur NOTUE (ŋGnô Tuè) apparait lui-même comme un signe linguistique hautement symbolique ayant par déterminisme ou par contingence un rapport réel dans sa référence identitaire. En effet, si la syllabe ŋGnô renverrait à « quelque chose », tandis que TUE signifierait la disette ou la souffrance en Ghômalah (nous a confié encore hier une notable de cette localité). Coïncidence ou prédestination, le professeur NOTUE a tiré sa révérence après une longue maladie.
Le prénom Jean-Paul n’est pas quant à lui moins représentatif dans l’univers des croyances judéo-chrétiennes. Tel Jean, le baptiste chargé de préparer le chemin… et Paul, apôtre des gentils et des païens, véhiculant la bonne nouvelle de l’orient vers l’occident, Jean-Paul à lui seul, a rassemblé cette symbolique en posant les jalons de cette discipline nouvelle. Le savoir que cet enseignant chevronné, ce chercheur infatigable nous a donné de voir, a fait germer des promotions de spécialistes des questions d’art et du patrimoine culturel.
Excellences mesdames, messieurs, chers collègues, chers étudiants, l’essentiel de notre propos s’articulera en trois points :
Le cursus studiorum et la formation du disparu ;
Sa vie professionnelle ;
Sa production scientifique.
I- Le parcours scolaire et académique
La formation de l’illustre disparu entamée à l’école CEBEC de Bandjoun en 1960 est sanctionnée par un CEPE en 1966. Elle se poursuit au Lycée Général Leclerc de 1966 à 1973. Dans ce nouveau contexte, l’élève Jean Paul NOTUE, sortant de son Bandjoun natal, se distingue par un talent précocement établi qui lui permit de jouer le rôle de maître d’internat et de décrocher son baccalauréat C avec la mention Assez Bien.
Il commence son cycle universitaire à l’École Normale Supérieure de Yaoundé en 1973 à la suite d’un concours. Il en ressort en 1975 nanti du CAPCEG (Certificat d’Aptitude des Cours d’Enseignement Général) en Histoire Géographie et Sciences Économiques. L’année d’après, il obtient une Licence en Histoire (option Histoire de l'Art et des Civilisations), à l’Université de Yaoundé. En 1978, dans la même institution, il obtient DES en Histoire de l’Art avec mention Bien.
En 1979, il fait la connaissance à l’institut des Sciences Humaines notamment au CERELTRA (Centre de Recherche sur les Langues et la tradition Orale) de Louis PERROIS, Responsable de la mission ORSTOM. Ensemble, ils initieront de nombreux projets et c’est dans ce cadre qu’il s’envolera pour la France en 1984, pour y préparer un DEA d’Histoire des Arts d’Afrique conjointement à l’Université de paris I et de paris VII. Il l’obtiendra en 1985 avec la mention Très Bien (major de sa promotion).
En 1988, il obtient le doctorat de l’Université de Paris I (thèse unique) en Histoire/Histoire de l’Art/Arts plastiques avec mention Très Honorable. Pour coroner le tout il passera en 2007, une habilitation à diriger les recherches (HDR) en Histoire de l’Art/Arts plastiques à l’Université de Paris I avec félicitation du jury.
Cette brève présentation du parcours scolaire et universitaire du Pr. Jean Paul NOTUE suscite quelques observations :
Il apparait comme pionnier des études de haut niveau en l’Histoire et Anthropologie de l’Art au Cameroun, secteur jusqu’ici marginalisé. Pour preuve, la thèse qui suit la sienne est soutenue dix neuf ans après par votre humble serviteur;
Son parcours est à la fois exceptionnel et brillant. Exceptionnel parce que scientifique de par son baccalauréat C, rien ne le prédestinait à une carrière de chercheur en Histoire de l’Art ; Brillant parce que le Pr. NOTUE a toujours été major de promotion.
Il s’est distingué par une fidélité à son champ disciplinaire ;
Il est parvenu au sommet de la formation dans son domaine.
Excellences mesdames, messieurs, chers collègues, chers étudiants, ce parcours Ô combien élogieux s’est décliné sur le double plan de l’enseignement et la recherche qui ont constitué les principaux axes de sa vie professionnelle.
II. Le parcours professionnel
Les enseignements du P. NOTUE commencent en 1975 au CES de Bamendjou, où il est affecté comme professeur d’Histoire et de Géographie. Ensuite, il sera muté au CES de Bonadoumbé. S’étant aperçu qu’il continuait à fréquenter l’Université où il venait d’obtenir la Licence et le DES, Il fût cette fois muté au CES de Yokadouma en 1978, ce qui n’entama en rien son opiniâtreté de Chercheur.
C’est à la faveur de la découverte fortuite de son mémoire de DES par Louis PERROIS, en mission au Cameroun et en quête d’un assistant, que le Professeur se verra extirpé des pénombres de la forêt de Yokadouma pour les lumières de l’ISH de Yaoundé, marquant ainsi son passage allé de l’enseignement à la recherche.
Revenu à Yaoundé au début des années quatre vingt, il est confirmé comme Attaché de Recherche à l’ex Institut des Sciences Humaines aux côtés des éminents chercheurs tels Pascal KENFACK, Aboubakar NJIASSE NJOYA, Florence WANKO, Raymond ASSOMBANG, Sévérin Cécile ABEGA, SINDJON POKAM, Charly Gabriel Mbock et bien d’autres.
De 1981 à 1988, il exercera ses fonctions d’Attaché de Recherche et fonctionnaire à L’ex ISH de Yaoundé.
De retour au Cameroun après l’obtention de son Doctorat, Dr. Jean Paul NOTUE est promu au grade de Chargé de recherches titulaire à l’ex ISH.
Après la fermeture de l’ex ISH, le Docteur Jean Paul NOTUE ainsi que certains de ses collègues, est mis à la disposition de l’Université de Yaoundé où il commencera malheureusement comme Enseignant Assistant au Département d’Histoire. Avec la réforme universitaire de 1993, il intègrera le Département des Arts et Archéologie et deviendra Responsable de la filière Arts Plastiques et Histoire de l’Art.
La même année, il dirige la grande exposition internationale des sculptures du Cameroun, « masques dits batcham » à Marseille avec l’assistance d’Alain NICOLAS conservateur du musée de Marseille.
Chargé de Cours titulaire en Histoire de l’Art, Patrimoine culturel et Anthropologie de l’Art en 1996, le Dr Jean Paul NOTUE relancera son partenariat de recherche avec l’IRD et d’autres organismes internationaux, ainsi que de nombreuses universités européennes et américaines. C’est ainsi qu’il dirigera plusieurs projets de recherche, ainsi que la formation théoriques et pratique de plusieurs conservateurs des musées locaux.
Du 07 au 18 mai 1998 il est commissaire de l’Exposition d'objets d'art et d'artisanat camerounais au Musée d'Art, Indiana University, Bloomington.
En décembre 2009, Il est Nommé par décret présidentiel, Directeur de l’Institut des Beaux Arts de l’Université de Dschang à Foumban, poste qu’il occupera jusqu’à son décès le 14 décembre 2011.
Ainsi, ses activités d’enseignement au Cameroun et à l’étranger ont essentiellement porté sur l'histoire de l'art et de l’architecture (Cameroun, Afrique, Europe) -l'esthétique et les arts plastiques; l’anthropologie de l’art et la muséologie; le tourisme, le patrimoine culturel et artistique- les cultures matérielles et technologies endogènes.
En tant qu’expert, le Pr. NOTUE a participé à la mise en place de nouveaux programmes et de nouvelles structures relatives à la réforme de l’enseignement supérieur au Cameroun dans le domaine des arts et du patrimoine archéologique et artistique, depuis 1993 comme principal animateur.
La riche et longue carrière d’enseignant et de chercheur du Professeur NOTUE appelle de notre part les observations suivantes :
Le Pr NOTUE a donné la forme actuelle à l’enseignement des Arts Plastiques et l’Histoire de l’Art au Cameroun à travers l’élaboration des programmes de l’Université d Yaoundé I.
Il a initié de nombreux jeunes curateurs aux sciences de la muséologie et de la conservation du patrimoine.
Ses recherches sont centrées sur le développement durable et la coopération internationale et nationale avec divers organismes (IRD, Université de Paris I, Indiana University, COE/ONG italienne, British Museum, Fondation Dapper, Metropolitan Museum of Art de New York, Réunion des Musées de France, universités d’États au Cameroun, Ministères camerounais de la recherche, des Arts et de la culture, etc.)
Malgré son état de santé fragilisé, il a continué à encadrer de nombreux mémoires et thèse d’étudiants au Cameroun et ailleurs.
Cette intense activité professionnelle dans l’enseignement, la recherche et l’administration a généré une abondante production scientifique :
III- Publications et travaux scientifiques
A ce niveau, les chiffres sont évocateurs :
De nombreux ouvrages et articles répartis ainsi qu’il suit* :
13 articles et autres travaux scientifiques
5 ouvrages scientifiques
25 rapports scientifiques
Une thèse et trois mémoires
Encadrement de nombreux travaux :- 15 thèses de doctorat (10 dirigées et 5 codirigées) avec 2 soutenues, 4 en procédure d’évaluation/soutenance), en plus de l’encadrement des graduate students en PH aux USA (Indiana university) ; 8 Masters II, 7DEA et 18 maîtrises encadrés, dirigés et soutenus avec de bonnes mentions.
La direction et l’animation avec réussite de 4 importants projets/programmes et équipes de recherche (6 à 15 membres) pour le développement: Programme 1: Étude des arts t techniques du Cameroun: inventaire iconographique et analyse du patrimoine artistique et technologique de l'Ouest et du Nord-Ouest du Cameroun; Programme 2 : Formation, tutelle, conservation et valorisation du patrimoine culturel et développement au Cameroun avec la coopération italienne. Programme 3 : Inventaire général du patrimoine culturel national du Cameroun avec le Ministère de la Culture de la culture. ; Programme 4 : Patrimoine culturel et développement : étude et promotion du patrimoine artistique et technologique des monuments et des sites du sud-Cameroun (début 2000, en cours).
L’examen approfondi de ces publications et ces travaux nous amène aux constats suivant :
Nous avons à faire à une production remarquable quantitativement et qualitativement ;
Ces publications sont effectuées dans des revues et maisons d’éditions internationales ;
Malgré son champ de recherche ciblé, les résultats ont une portée continentale
L’ensemble de ses travaux constitue une base incontestable pour les recherches en Histoire des Arts d’Afrique.
Excellences mesdames et messieurs, chers collègues, chers étudiants, l’enseignement supérieur camerounais avec la disparition du Pr. NOTUE, perd à la fois un modèle d’enseignant et de chercheur, discret, acharné et surtout efficace. D’apparence solitaire, l’homme des « Tas d’affaires » surnommé « l’ami de PERROIS », celui là même dont nous venons de suivre le témoignage, le Pr. NOTUE aura mené une vie intellectuelle riche et épanouie. « Le malheur de l’avoir perdu ne doit pas nous faire oublier le bonheur de l’avoir connu ».
Sa carrière administrative n’a malheureusement pas connu la même intensité. L’enseignant n’est-il pas formé pour enseigner et le chercheur pour chercher ?
Cher Professeur, l’âge de la mort est très relatif. Il y a des gens qui sont morts à trente ans, mais qui ont été enterrés qu’à quatre vingt ans.
Il n’est pas toujours facile de partager son savoir. Heureux sont ceux qui ont partagé le leur, car bien qu’arrachés à la vie, ils survivent à travers leurs disciples de génération en génération.
*13 articles et autres travaux scientifiques
1. NOTUE Jean-Paul, (1992) - "Description of Grassland works of Art", in Erna Beumers and Hans-Joachim. Koloss (ed.), Kings of Africa - Art and Authority in Central Africa, Collection Museum für Völkerkunde, Foundation kings of Africa, Berlin, Maastricht, pp. 302-308 n° 13, 16, 25, 28, 30, 31, 33, 36-45,
2. (1995) - L'image de la femme dans l'iconographie camerounaise, MINREST/ORSTOM, Yaoundé, 68 p. Edition abrégée en 2002, (Essomba J-M et Notué J-P, 2002, "L'image de la femme dans l'iconographie camerounaise", in la femme camerounaise et la promotion du patrimoine culturel, Ed. Clé, Yaoundé, pp. 181-217).
3. NOTUE Jean-Paul, (1997) - "Contenants du Grassland", Réceptacles, Editions Dapper, Paris, pp. 141-185.
4. NOTUE Jean-Paul., (2000) - "Figures de reliquaire fang", in Christiane Falgayrettes - Leveau (dir.), Arts d'Afrique, Ed Gallimard et Dapper Paris, pp 235-251.
5. NOTUE Jean-Paul, (2000) - "Sculptures du Cameroun ", in Sculptures : Afrique, Asie, Océanie, Amériques, Réunion des Musées Nationaux/musée du quai Branly, Paris, pp.141-154.
6. NOTUE, Jean-Paul, (2000) - "Notices", in John Mack (ed.), Africa. Arts and cultures, British Museum Press, London, pp 112-115.
7. NOTUE Jean-Paul, (2000) - "Forms, Functions and Meaning of the Cultural Objects from the Royal Palace of Mankon", in Jean-Paul Notué et Bianca Triaca, The Treasure of the Mankon Kingdom, Les Cahiers de l'IFA, ed. COE et IFA, Mbalmayo et Milan, PP. 42-84 (texte bilingue français/anglais)
8. NOTUE Jean-Paul, (2000) - "Les arts du Grassland", in Christiane Falgayrettes - Leveau (dir.), Arts d'Afrique, Ed Gallimard et Dapper, Paris, pp 235-254.
9. NOTUE Jean-Paul (2001), - "Sculptures from Cameroon ", in Sculptures : Africa, Asia, Oceania, Americas, Réunion des Musées Nationaux, musée du quai Branly, Paris, pp.141-154.
10. NOTUE Jean-Paul, (2003) - "L’ornementation de la tête chez les Fang", in Christiane Falgayrettes - Leveau et Iris Hahner (dir.), Parures de tête, Editions Dapper, Paris, pp. 243-262 (texte bilingue français/anglais).